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La droite israélienne enhardie par la nouvelle administration américaine

Cisjordanie, de la colonisation Ă  l’annexion

En quelques jours, le premier ministre israĂ©lien a annoncĂ© la mise en chantier de plus de trois mille nouveaux logements Ă  JĂ©rusalem-Est et en Cisjordanie — plus que durant toute l’annĂ©e 2016. Cette surenchère n’empĂŞche pas M. Benyamin Netanyahou d’être dĂ©bordĂ© sur sa droite par son concurrent Naftali Bennett, qui se prononce pour l’annexion des territoires palestiniens occupĂ©s.

par Dominique Vidal

Cisjordanie, de la colonisation Ă  l’annexion

« L a seule chose prévisible chez [Donald] Trump, c’est qu’il sera imprévisible (1 ). » Globalement pertinente, cette réflexion de Noam Chomsky l’est moins s’agissant du Proche-Orient. Trois prises de position du candidat républicain balisent sa politique présidentielle face au conflit israélo-palestinien. l’engagement de transférer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem (2 ) ; le refus de considérer la colonisation des territoires occupés depuis 1967 comme un obstacle au processus de paix ; la décision de ne plus faire pression sur le gouvernement israélien afin qu’il négocie. Deux nominations apparaissent au moins aussi significatives. celle du gendre du président, M. Jared Kushner, qui soutient financièrement les colons, à la fonction de « haut conseiller à la Maison Blanche » ; et celle, au poste d’ambassadeur en Israël, de M. David Friedman, qui préside les Amis de Bet El, une vieille implantation juive de Cisjordanie. Le diplomate improvisé a aussitôt exprimé sa « hâte » de travailler « depuis l’ambassade américaine dans la capitale éternelle d’Israël ».

Les « avant-postes » légalisés ?

Coïncidence . L’arrivée de cette nouvelle administration se produit alors que l’extrême droite israélienne milite pour un tournant historique de la politique palestinienne de Tel-Aviv. l’annexion de la Cisjordanie. M. Naftali Bennett, dirigeant du parti religieux ultranationaliste Foyer juif, ministre de l’éducation et de la diaspora, prône depuis longtemps l’annexion de la zone C. Celle-ci, placée par les accords d’Oslo sous le contrôle exclusif d’Israël, représente plus de 60 % de la Cisjordanie, notamment la vallée du Jourdain, mais aussi l’ensemble des colonies et de leurs routes de contournement. Le 5 décembre 2016, M. Bennett est passé aux actes. il a fait voter en première lecture par la Knesset un texte légalisant quatre mille logements dans des « avant-postes », ces colonies que même le droit israélien considérait jusqu’ici comme illégales, car construites sur des terrains palestiniens privés expropriés. C’est une violation flagrante de la 4e convention de Genève et des résolutions des Nations unies. Pour que ce texte entre en vigueur, il lui faudra toutefois trois nouvelles lectures, puis la validation de la Cour suprême.

« C’est la loi la plus dangereuse édictée par Israël depuis 1967 », affirmait peu après le vote M. Walid Assaf, ministre palestinien chargé des colonies. Le procureur général d’Israël, M. Avichaï Mandelblit, s’opposait à ce texte contraire à la jurisprudence de la Cour suprême, et le chef de l’opposition travailliste Isaac Herzog l’assimilait à un « suicide national ». De même, deux cents anciens responsables se présentant comme les « commandants pour la sécurité d’Israël » dénonçaient dans le projet d’annexion la fin du caractère « juif et démocratique » de l’État. Ces réactions n’ont pas empêché M. Bennett de promettre pour fin janvier une nouvelle loi consacrant l’annexion de Maale Adoumim, l’un des trois principaux blocs de colonies israéliennes, à l’est de Jérusalem. Pour l’Autorité palestinienne, ce tournant équivaut à un arrêt de mort. l’annexion de la Cisjordanie lui laisserait peu à gérer, et encore moins à négocier.

Il y a cinquante ans, au lendemain de la guerre des six jours, le gouvernement de Levi Eshkol fit mine de ne pas vouloir modifier le statut des territoires occupĂ©s, Ă  l’exception de JĂ©rusalem-Est, annexĂ©e dès 1967 et proclamĂ©e, avec JĂ©rusalem-Ouest, en 1980, capitale « entière et unifiĂ©e » du pays — ce que ne reconnaĂ®t pas la « communautĂ© internationale ». Il s’agissait, prĂ©tendit alors son ministre des affaires Ă©trangères, Abba Eban, d’une « carte » Ă  jouer dans de futures nĂ©gociations de paix. Tous les gouvernements successifs, y compris les plus Ă  droite, comme ceux d’Ariel Sharon et de M. Benyamin Netanyahou, s’en tinrent officiellement Ă  cette version. Sans que cela les empĂŞche de coloniser de plus en plus massivement la Cisjordanie. de 5 000 colons en 1977, date de la première arrivĂ©e de la droite au pouvoir, on passera en 2017 Ă  plus de 400 000, sans compter les 200 000 IsraĂ©liens vivant Ă  JĂ©rusalem-Est.

Ce flou présente un avantage politique et diplomatique majeur. il permet à Tel-Aviv de ne pas se prononcer sur le sort des Palestiniens. À l’inverse, annexer la Cisjordanie impliquerait d’accorder à ces derniers les mêmes droits que les Israéliens, y compris celui de voter, ce qui ouvrirait une longue bataille pour une égalité réelle dans le futur État commun. En cas de refus, l’État unique s’afficherait clairement comme une variante de l’apartheid sud-africain, un seul peuple s’arrogeant tous les droits.

Pour Ă©chapper Ă  ce dilemme, un scĂ©nario plus noir encore reste prĂ©sent. une nouvelle vague d’expulsions de Palestiniens de la Cisjordanie, voire de l’État d’IsraĂ«l. Ce dernier ne serait pas devenu majoritairement juif sans la Nakba (« catastrophe » en arabe) de 1947-1949, qui chassa 850 000 Palestiniens, soit les quatre cinquièmes de ceux qui vivaient alors dans le pays. Il poursuivit ce nettoyage ethnique Ă  la faveur de la guerre de 1967, avec la Naksa (« revers »). 300 000 nouveaux rĂ©fugiĂ©s avaient alors fui les territoires occupĂ©s par l’armĂ©e israĂ©lienne. Et Sharon aimait Ă  rĂ©pĂ©ter que « la guerre d’indĂ©pendance d’IsraĂ«l n’est pas terminĂ©e ». Depuis, le contexte a bien sĂ»r changĂ©. Difficile d’organiser une dĂ©portation massive devant les camĂ©ras du monde entier — du moins Ă  froid. Mais Ă  chaud . La guerre en cours en Syrie crĂ©e un redoutable prĂ©cĂ©dent. dans l’escalade des combats, en cinq ans, plus d’un habitant sur deux a dĂ» quitter son foyer, dont près de la moitiĂ© pour l’exil.

L’extrême droite n’hésite plus à s’inscrire ouvertement dans la perspective de l’annexion. « Le chemin des concessions, le chemin de la division a échoué. Nous devons donner nos vies pour étendre la souveraineté d’Israël en Cisjordanie », affirme sans ambages le dirigeant du Foyer juif (3 ). Si le chef du Likoud partage cette ligne, il rechigne à l’afficher. Sa dernière volte-face en témoigne. le 5 décembre dernier, il a voté en première lecture la loi d’annexion, qu’il s’emploie désormais à enterrer !

Inquiétudes pour l’image du pays

Ses zigzags ne datent pas d’aujourd’hui. En 2009, dans son discours à l’université Bar-Ilan, M. Netanyahou admet, du bout des lèvres, la possible création d’« un État palestinien démilitarisé ». Six ans plus tard, à la veille des élections législatives, il jure qu’il n’y aura pas d’État palestinien tant qu’il sera aux commandes. À peine redevenu premier ministre, il se renie… et le nie. « Je ne suis revenu sur rien de ce que j’avais dit il y a six ans, lorsque j’avais appelé à une solution avec un État palestinien démilitarisé, qui reconnaît l’État hébreu. J’ai simplement dit que, aujourd’hui, les conditions pour cela ne sont pas réunies (4 ). »

Raison de ces acrobaties, l’isolement croissant de Tel-Aviv inquiète l’Institut d’études de la sĂ©curitĂ© nationale (INSS). Il Ă©crit dans son rapport annuel, qui fait autoritĂ©. « L’image d’IsraĂ«l dans les pays occidentaux continue Ă  dĂ©cliner ; une tendance qui accroĂ®t la capacitĂ© de groupes hostiles Ă  mener des actions pour le priver de lĂ©gitimitĂ© morale et politique et lancer des opĂ©rations de boycott (5 ). » Si l’extrĂŞme droite n’en a cure, c’est qu’elle s’appuie, outre sur la nouvelle administration amĂ©ricaine, sur une opinion israĂ©lienne radicalisĂ©e. L’état de guerre permanent — renforcĂ© ces derniers mois par l’« Intifada des couteaux » —, l’intensitĂ© de la manipulation mĂ©diatique, mais aussi, et sans doute surtout, l’absence de toute solution de rechange politique. autant de facteurs qui expliquent le ralliement de la majoritĂ© des Juifs israĂ©liens aux thèses extrĂ©mistes.

Les sondages confirment en effet les rĂ©sultats du scrutin du 17 mars 2015, qui a dĂ©bouchĂ© sur la constitution du gouvernement le plus Ă  droite de l’histoire d’IsraĂ«l. Dans toutes les enquĂŞtes, une majoritĂ© refuse la crĂ©ation d’un État palestinien, soutient l’annexion de la Cisjordanie et souhaite le « transfert » des Palestiniens, y compris — du jamais-vu — ceux d’IsraĂ«l (6 ). En outre, six Juifs israĂ©liens sur dix pensent que Dieu a donnĂ© la terre d’IsraĂ«l aux Juifs — selon une boutade bien connue lĂ -bas, mĂŞme les athĂ©es le croient… Ă€ ce consensus contribue aussi depuis peu un puissant arsenal rĂ©pressif contre les rĂ©calcitrants (lire « SĂ©rie de lois liberticides »).

Un Ă©vĂ©nement symbolise cette radicalisation Ă  droite. les rĂ©actions au jugement du soldat franco-israĂ©lien Elor Azaria, accusĂ© d’avoir, le 24 mars 2016, assassinĂ© d’une balle dans la tĂŞte un assaillant palestinien dĂ©jĂ  blessĂ©, allongĂ© Ă  terre, inconscient, dans le centre d’HĂ©bron. Soucieux de l’image de l’armĂ©e après la diffusion de la vidĂ©o du meurtre dans le monde entier, l’état-major a voulu faire un exemple. Et le tribunal militaire, le 4 janvier, a jugĂ© l’accusĂ© coupable d’« homicide » — la sentence, encore attendue, pourrait aller jusqu’à vingt ans de rĂ©clusion. Ă€ condition que les trois magistrats ne reculent pas devant la levĂ©e de boucliers suscitĂ©e par leur verdict. le premier ministre et la quasi-totalitĂ© du gouvernement, presque toute la classe politique et le gros des mĂ©dias exigent la grâce de l’assassin, comme 67 % des Juifs israĂ©liens sondĂ©s. Devant la multiplication des menaces de mort, il a mĂŞme fallu fournir aux juges une protection rapprochĂ©e, tandis que le chef d’état-major de l’armĂ©e Ă©tait lui aussi inquiĂ©tĂ© par des extrĂ©mistes.

Le tournant qui se profile Ă©claire Ă©videmment le sens de la rĂ©solution 2334 contre la colonisation, adoptĂ©e le 23 dĂ©cembre 2016 par le Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies grâce Ă  l’abstention amĂ©ricaine — une première depuis 1980 —, et de la confĂ©rence tenue Ă  Paris le 15 janvier en prĂ©sence du secrĂ©taire d’État amĂ©ricain John Kerry. Il faut tout l’aplomb du ministre israĂ©lien de la dĂ©fense Avigdor Lieberman pour y voir une « affaire Dreyfus moderne ». la « communautĂ© internationale », États-Unis compris, s’est contentĂ©e de rĂ©affirmer l’objectif des deux États et de condamner tout ce qui le compromet, en premier lieu la colonisation (lire les extraits du discours de M. Kerry ).

La démarche américaine serait louable si elle n’intervenait pas aussi tard, et après que l’administration sortante a conclu un accord historique avec Tel-Aviv pour une aide militaire de 38 milliards de dollars sur dix ans. Mais le moment choisi n’est pas seul en cause. Plus grave encore. l’absence d’évocation d’une sanction potentielle dans ces manœuvres opérées à la dernière minute, juste avant l’arrivée de M. Trump à la Maison Blanche. Même si le leader centriste Yaïr Lapid nuance. « Cette résolution ne parle pas de sanctions, mais elle fournit l’infrastructure pour de futures sanctions ; c’est ce qui est alarmant. Cela peut donner corps à des plaintes devant des juridictions internationales contre Israël et ses responsables (7 ). »

L’évolution interne d’IsraĂ«l dĂ©montre en effet, s’il en Ă©tait encore besoin, que seule une forte pression internationale, assortie de mesures coercitives, Ă©conomiques et juridiques, pourrait ramener ses dirigeants Ă  la raison. Conscient de l’enjeu, le premier ministre israĂ©lien a d’ailleurs qualifiĂ© en 2015 la campagne Boycott DĂ©sinvestissement Sanctions (BDS) de « menace stratĂ©gique ». Selon la Rand Corporation, un think tank amĂ©ricain, celle-ci pourrait coĂ»ter Ă  l’économie israĂ©lienne jusqu’à 47 milliards de dollars en dix ans (8 ). Car elle fait tache d’huile jusqu’au niveau institutionnel. dans nombre de pays, des fonds de pension, de grandes entreprises — en France, Orange et Veolia —, des banques retirent leurs investissements des colonies, voire d’IsraĂ«l. L’Union europĂ©enne demande, elle, que les produits des colonies soient Ă©tiquetĂ©s en tant que tels, afin qu’ils ne bĂ©nĂ©ficient plus des avantages que l’accord d’association accorde Ă  ceux d’IsraĂ«l ; mais cette exigence a une portĂ©e plus limitĂ©e…

Une fois n’est pas coutume, un autre signal, politique celui-là, est venu de la Commission européenne, d’ordinaire si complaisante vis-à-vis de Tel-Aviv. Tout en se déclarant opposée au boycott d’Israël, la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini, affirme. « L’Union défend la liberté d’expression et d’association, conformément à sa charte des droits fondamentaux, qui s’applique aux États membres, y compris en ce qui concerne les actions BDS. » Et de commenter. « La liberté d’expression, comme l’a souligné la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, est également applicable aux informations et aux idées qui offensent, choquent ou perturbent un État ou une partie de la population (9 ). »

Sous la conduite de MM. François Hollande et Manuel Valls, les autorités françaises ont, à l’inverse, obtenu des poursuites judiciaires et de lourdes amendes contre les activistes de la campagne BDS. Les actions de ces derniers ont été absurdement présentées comme une « incitation à la haine raciale », alors qu’ils militent pour la fin de la colonisation et l’égalité des droits. Un objectif qu’ils partagent avec… les Nations unies.

Journaliste et historien, directeur avec Bertrand Badie de L’État du monde (La Découverte).

La cérémonie de l’humiliation

Abaher El Sakka & Sandra Mehl. septembre 2015

Le mur de séparation érigé par Israël devient chaque jour plus aliénant pour les Palestiniens. Plaçant les frontières où bon lui semble, l’occupant impose sa domination aux points de passage et par le biais d’innombrables barrages qui morcellent le territoire de la Cisjordanie. →

Le cancer des colonies israéliennes

Marwan Bishara. juin 2002 Aperçu

Tandis que l’armée israélienne multiplie les incursions meurtrières dans les villes « autonomes », les autorités d’occupation imposent de nouvelles mesures restrictives à la circulation des biens et des personnes. (. ) →

Inventaire des accords d’Oslo

Alain Gresh. avril 1999 Aperçu

Que se passera-t-il le 4 mai 1999, date de la fin de la période d’autonomie des territoires palestiniens. Le retour au droit international serait un des moyens de sortir de l’impasse actuelle. Encore (. ) →

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février 2017. pages 22 et 23

De qui François Fillon est-il le prête-nom . Dans les villes rebelles espagnoles ; ce dont nous avons (vraiment) besoin ; le Vietnam se rêve en atelier de la planète ; le Tadjikistan. château d’eau de l’Asie centrale ; au Pentagone. la peur pour carburant ; Justin Trudeau. l’envers d’une icône ; chaos pénitentiaire au Brésil ; au Chili. le supermarché du bout du monde ; ondes magnétiques. une pollution invisible ; dans les Yvelines, le clientélisme au quotidien ; les remèdes toxiques à la crise financière ; Cisjordanie. de la colonisation à l’annexion ; la volupté du sang ; les acrobaties de Jacques Julliard (…)

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